mardi 9 février 2010

AU COEUR DE LA PATAGONIE

Nous abandonnons nos lacs et nos volcans « chantilly » après une dernière soirée face au somptueux Osorno et à son frère le Puntiagudo, étonnement pointu et acéré.



Au sud de la région des lacs, le Chili se transforme en un dédale d’îles et de fjords ce qui empêche la continuité des voies de circulation terrestres et rend les traversées en bateau obligatoires. Il nous faut donc organiser notre passage entre l’île de CHILOE et le continent au niveau de CHAITEN et nous réservons le seul bateau disponible, vendredi soir, ce qui nous donne plus de trois jours à passer sur cette île de 180 km de long sur 50 de large. Nous quittons donc la Suisse pour un séjour Breton sur l’île Chilote ; à l’ouest, une côte océane battue par les vents, dunes, landes et plages infinies, à l’est des centaines d’îles et d’ilots à l’intérieur de golfes ou de fjords riants. On y déguste des huîtres et de délicieuses palourdes, des « ceviche » de saumon ou de coquillages et des oursins gigantesques.


 L’activité principale des Chilotes est l’élevage des saumons. Ils ramassent aussi les grosses algues épaisses qu’ils cuisinent avec des pommes de terre. Ce sont surtout les églises en bois qui font l’originalité de Chiloé, il y en a des dizaines et elles sont toutes charmantes avec leur clocher à étage et leurs intérieurs peints. Certaines sont particulièrement belles et inscrites au patrimoine de l’UNESCO. Les maisons Chilotes, les « palafitos », aux couleurs acidulées, également de bois, sont construites sur pilotis au ras de l’eau le long des fjords. Leurs façades sont bardées de planches arrondies qui font penser aux écailles des poissons. On se promène dans les villages de Quemchi d’Achao et de Castro, le soleil est de la fête et les grains sont de courtes duré. Il ne pleut vraiment que la nuit.






Les majestueux cygnes à col noir et bec rouge se laissent flotter au fil des estuaires avec leur nichée de petits poussins accrochés dans leur plumage. Nous prenons le temps de musarder dans les chemins creux et de nous promener au bord des plages et sur la lande. Nous testons la spécialité chilote le « curanto » ; poissons, fruits de mer, saucisses, jambonneau, poulet, moules géantes et pommes de terre, mijotés des heures dans un bouillon plein de coriandre dont un bol généreux accompagne le plat. Avec cela, nous pouvons affronter les plus grands vents, nous sommes lestés.




QUELLON, c’est le « bout de la route », l’extrémité australe de la Panaméricaine qui a son origine en Alaska. De là, nous embarquons sur un ferry pour atterrir samedi matin à CHAITEN. Malgré une bonne partie de la nuit en rade pour attendre la marée, nous arrivons manifestement trop tôt à Chaiten et le ferry, échoué à une encablure du quai, nécessitera une heure et demi pour accoster au fur et à mesure que l’eau monte sous la coque et à la force des aussières frappées à terre.



De la passerelle, l’arrivée est magnifique ; au sud, le volcan enneigé du CORCOVADO domine les flots de ses 2300 mètres d’altitude et au dessus de la bourgade de Chaiten fume le MICHIMAHUIDA dont une éruption expulsa les habitants d’un village il y a deux ans.


Nous débarquons enfin avec 6 heures de retard sur le quai de pierre qui sert d’embarcadère. Ici commence la véritable Patagonie, celle où la terre et la mer sont tellement imbriquées qu’on ne sait plus démêler la géographie ; lacs ou fjords, île ou continent….C’est le royaume de la forêt pluviale (7000 mm de précipitation par an), des pics volcaniques, des glaciers et des cascades. D’immenses futaies de hêtres «Lenga » (hêtres du Chili) côtoient des clairières colonisées de gigantesques feuilles de « nalca ». Nous marchons dans la boue, engloutis sous cette végétation exubérante, parmi les bambous, les mousses, les lichens et les orchidées pour approcher le glacier suspendu de COLGANTE dont les séracs se décrochent régulièrement faisant vibrer la forêt de détonations fracassantes. Au Chili c’est la CONAF qui gère tous ces parcs et le principe de payer pour tout simplement se promener dans la nature est quelquefois très agaçant (d’autant plus que très souvent le tarif étranger est beaucoup plus cher) mais dans le cas présent il faut entretenir les chemins sans lesquels on ne pourrait pas pénétrer. Dans le parc national de QUEULAT, nous installons notre campement sous les hêtres profitant de jolis emplacements avec eau et abri.



La route australe chemine étroitement sous les frondaisons, contourne les lacs, franchit des ponts quelquefois suspendus et longe les fjords.


 Mais à Puerto IBANEZ nous pointons à nouveau nos roues vers l’Argentine car le FITZ ROY nous attend, et la route australe, elle, s’arrêtera bientôt pour laisser place à la mer et aux glaciers où nos voitures n’ont pas droit de cité (et nous non plus d’ailleurs).


Très rapidement, la riche végétation cède le pas à l’aridité de la pampa et le vent violent souffle sans obstacle. Même le fait de pique-niquer à midi devient un exploit – alors imaginez-vous le problème des dames pour faire pipi sans en exhiber les traces ; pour les garçons, une fois de plus, c’est beaucoup plus facile ! Nous cherchons un abri pour la nuit et ce sera le camping municipal de PERITO MORENO, petit bled paumé dans la pampa où même internet n’est pas accessible ! Heureusement, une salle fermée nous permet de dîner au chaud à défaut de calme : nous y rencontrons des motards, des cyclistes et des routards de tous poils et nationalités dont deux jeunes grimpeurs belges qui ont attendu en vain deux semaines une fenêtre météo pour escalader le FITZ ROY, la Mecque des alpinistes paraît-il.

A propos des rencontres de voyageurs nous en avons fait plusieurs dizaines depuis que nous sommes en Amérique Latine ; beaucoup de filles seules et sacs au dos, dégourdies et assez gonflées quand même pour se balader en Bolivie, Pérou, Equateur ou Colombie en bus et en stop. Des jeunes couples en fin d’étude ou même démissionnaires d’un « boulot, métro, dodo », prennent la route pour 6 mois, un an et même plus (et c’est qui qui va payer les retraites ?) Il y a des motards aussi, souvent solitaires et moins jeunes que les backpackers. Et puis les cyclistes, que l’on croise sur les pires pistes aux altitudes les plus élevées et aux latitudes les plus extrêmes, sont, certainement, les plus fous. Il y a aussi des rencontres en chaine comme ce jeune couple de randonneurs français avec lesquels on a passé la soirée aux sources de San Sebastian et que l’on embarque dans nos voitures jusqu’à PUCON. Alors qu’on se sépare, nous sommes hélés par Hugo, le jeune Chilien qui nous a aidés trois jours avant à 300 km de là (voir blog précédent). Présentations faites, il s’avère que Hugo est moniteur de parachute et que nos jeunes français de sérieux adeptes … par le biais de leur blog nous apprendrons qu’ils ont sauté ensemble au dessus du volcan Villarica, grandiose ! Depuis que nous sommes dans le sud, nous rencontrons plus de gens comme nous, plus souvent en camping car qu’en 4X4, des couples de retraités, mais qui partent pour plusieurs années. Des Anglais qui sont ici depuis 8 mois mais qui ont sillonné l’Australie pendant 6 ans en Land rover aménagé avec une cellule qui fera baver Danielle et Alain. Tous ont beaucoup plus de temps que nous et là où nous restons 2 ou 3 jours, eux y séjournent 15…Des français qui vivent à La Paz et qui se baladent pour 6 mois avec leur Patrol, entre deux boulots, nous donnent plein de tuyaux sur les coins les plus sympas car ils reviennent de Patagonie et de Terre de Feu. Un autre jeune couple de français, parapentistes, navigue en fourgon aménagé, ils ont pris une année sabbatique et nous font visiter leur véhicule qui fera encore rêver Danielle, pas étonnant que le sien se vexe de temps en temps.

La piste qui mène à EL CHALTEN est particulièrement éprouvante, la violence du vent et les trépidations ont raison de la fixation de la galerie du Mitsu et de l’attache de son réservoir… longue journée de 580 km où l’on évite de s’arrêter car tout s’envole dés que l’on ouvre une porte. Arrivée glaciale et nuageuse au pied du FITZ ROY où nous nous réfugions dans des «cabanas » confortables et chauffées. Les guanacos, aussi grands que les lamas mais beaucoup plus sveltes et d’une jolie couleur fauve, nous traversent sous le nez en sautant élégamment par dessus les touffes blondes de « coiron » et les lièvres de Patagonie détalent sous nos pneus. Quant aux nandous, petites autruches très sauvages, notre passage les fait déguerpir et nous n’en voyons que leur derrière affolé !



Il a plu pendant la nuit mais le ciel se dégage dans la matinée et le Fitz se dévoile dans toute sa gloire; c’est un sabre de granit érigé à 3400 mètres au dessus d’autres pics et aiguilles et cerné de glaciers géants (juste à l’ouest du massif, la calotte continentale Patagonne fournit 1% des réserves d’eau de la planète). Les Vassault s’en approchent à pied jusqu’au premier glacier, Bonvin et Lamar préfèrent l’admirer du lac Viedma en allant lécher la glace en bateau parmi les icebergs.



 Dés le lendemain le mythique sommet restera dans les nuages et c’est avec une soudure de plus pour « Frigécrème » que nous reprendrons la route vers EL CALAFATE et le PERITO MORENO.

Là encore, nous avons de la chance ; après avoir trouvé un bivouac inespéré et très potable et une soirée sous la pluie, grand soleil au petit matin pour aller découvrir ce phénomène extraordinaire qu’est la falaise de glace du Perito Moreno. Une muraille bleutée qui s’avance sur un front de 4 km dans un lac, et 260 km² de glace qui poussent derrière… Dés que l’on arrive sur le site on est très surprit par le bruit du glacier, détonations et claquements rythment la compression de la glace dont des pans entiers s’effondrent régulièrement, nous avons droit au spectacle d’une magnifique chute de sérac et le jeu est d’essayer de deviner quel sera la prochaine pour préparer les appareils photo ! Grandiose journée donc à contempler ces magnifiques sculptures congelées qui se pressent au dessus du lac pour s’y effondrer irrémédiablement (il paraitrait que depuis quelques années le Perito Moreno n’avancerait plus).




LA CHUTE !

La Patagonie, ce sont aussi des estancias vastes comme des départements, d’infinies étendues de landes à moutons aux herbes blondes balayées par les vents avec pour toile de fond les montagnes enneigées qui se découpent… C’est aussi le trou dans la couche d’ozone qui fait qu’on crame même à travers les nuages !

Aux TORRES DEL PAINE, rendez-vous chilien de la randonnée, nous perdons notre bonne étoile météorologique. Ce massif au relief exceptionnel de pics tordus (los Cuernos) et de tours de granit (los Torres), restera dans la brume et nous auront droit qu’à quelques apparitions sur fond de ciel gris…un véritable temps Patagonien qui ne semble pas décourager plus que ça les marcheurs chargés de gros sacs à dos et de tentes. Quant à nous, la pluie et le vent raccourcit nettement nos promenades. Nous irons tout de même à la rencontre des icebergs qui se sont détachés du glacier Grey et échoués au bout du lac.







 En ce qui concernent les bivouacs nous trouvons toujours à nous abriter quelque peu derrière des arbres mais ils sont quand même bien ventés et froids, heureusement plus la température baisse plus l’ambiance se réchauffe !

PUERTO NATALES, capitale de la province d’ULTIMA ESPERANZA, tout un programme, est finalement assez sympa : 18.000 personnes habitent dans des maisons de bois aux toits de tôle coloré, c’est un petit port au bord d’un fjord où les rafales soufflent très fort. Une fois par semaine y débarque le ferry de PUERTO MONTT qui met 4 jours à descendre en cheminant parmi les fjords. Nous y croisons un couple de « voileux » de Seattle qui navigue depuis bientôt 4 ans autour du monde, ils nous apprennent que la plupart des marins qu’ils rencontrent dans ces régions inhospitalières sont français…Isabelle Autissier fut l’une d’entre eux, elle navigue aujourd’hui vers l’Antarctique !





C’est à PUNTA ARENAS, dernière ville du continent chilien, que nos chemins se séparent pour quelques jours ; les Lamar et Vassault embarquent pour une mini croisière par les canaux de Patagonie jusqu’à USHUAIA via le cap Horn, et les Bonvin ,puristes, poursuivent la route en voiture jusqu’au bout du bout de la Terre de Feu en traversant le détroit de Magellan. Nous nous retrouverons très bientôt pour amorcer la route du retour, cap au nord.